Dans l’appartement régnait un silence presque parfait, à peine troublé par le ronronnement régulier du chat blanc et gris roulé entre les omoplates d'Arelan et la respiration profonde de ce dernier, dans un demi-sommeil. Les deux relevèrent la tête brusquement, les yeux mal-ouverts, lorsque le bruit strident de la sonnette se fit entendre. Arelan roula sur son bon côté, obligeant le chat à descendre de son dos en le regardant de travers.

Coming' fit-il d'une voix forte qui finit sur un bâillement étouffé.

Il attrapa un pantalon qu'il enfila à la va-vite et décrocha une chemise qu'il enfilait encore lorsqu'il traversa la pièce principale, le greffier sur les talons, en se demandant qui serait venu jusque chez-lui le chercher ? Une voisine ? Quelqu'un d'autre ? Il eut un instant d'hésitation et revint sur ses pas, prenant la dague au fourreau ouvragé qu'il garda dans une main alors qu'il entrebâillait (enfin) la porte.

Il reconnut très vite la chevelure lavande face à lui. Il ouvrit plus grand la porte, sûr de ne plus rien risquer à présent (à part d'être encore attaqué par une bise).
Crystal ? Euh, bonjour !

Etrangement, ils semblaient l'un et l'autre surpris, ou du moins gênés.
Salut ! Je ne te dérange pas ?
Du tout ? fit-il, attendant encore la raison de sa venue.
Il suivit des yeux le mouvement de son doigt vers le panier auquel il n'avait pas encore fait attention.J-Je t'ai apporté quelque chose... pour te remercier...
Cette fois, un sourire à peu près sincère (il avait du mal à sourire avec sincérité) éclaira un peu son visage. On ne pensait que rarement à le remercier pour son travail. Le plus souvent, les remerciements étaient plus présentés sous le terme de récompense.
Fallait pas.
Il remarqua vite le mouvement des yeux de la jeune fille.
... Tu veux entrer ? Je t'offres quoi que ce soit ?
Derrière lui, le chat s'était assis sur une chaise, scrutant de ses yeux gris l'étrangère.

Avec plaisir. Enfin... Si-Si ça ne te dérange pas ?
Pourquoi te l'aurais-je proposé si cela me dérange ? ricana-t-il en souriant avant de se décaler, pour qu'elle se sente pleinement libre d'entrer.
Il fit même mieux, avec toute la courtoisie qui le caractérisait : il la planta sur le pas de la porte grande ouverte, retournant chez lui pour poser la dague sur un meuble, prêt du portrait de cette mystérieuse femme au longs cheveux.

Tu m'excusera du bor-du bazar ! dit-il en désignant d'un geste vague l’appartement propre et rangé tout en ramassant le dit bazar : recherches de toutes origines et pseudo-onguents, notamment ceux dont il avait eu besoin pour sa mâchoire et son flanc, qu'il gardait encore bandé. En parlant de ça ...
Comment va ton bras au passage ?

Il l'observa du coin de l'oeil alors qu'elle effleurait son bras, tout en refermant quelques livres (et cahiers).
Ça va, merci. J'ai encore un peu mal et il me reste une marque mais tes conseils se sont avérés très efficaces !
Un peu que ses remèdes de grand-mère étaient efficaces ! Appris, testés et approuvés par lui-même !
Et toi ?
Très bien merci. Les hématomes se résorbent très vite; encore peu de temps et je serais comme neuf !

Oui enfin, comme neuf ... tout couvert de cicatrices et jusqu'aux prochaines lésions. Il déposa rapidement le tout dans sa chambre et ferma sa chemise, se rendant sensiblement plus présentable.Quant aux cheveux pleins de mèches folles ... Il passa simplement la main dedans pour éviter d'en avoir trop dans les yeux.

Je t'ai préparé des cupcakes.
Et Maître Arelan, par ces mots alléché, jeta un œil curieux en direction de la sirène. Sirène présentement rouge -de honte ?- pour une raison qui lui échappait encore.
C'est pas grand chose.. m-mais... j'espère que tu aimes...
Who doesn't !

Son ton était beaucoup plus joyeux. Ne dit-on pas que le coeur d'un homme n'est pas très loin de son estomac ? Il retraversa la pièce, pillant pour reprendre une mixture aux allures de guacamole dans le but de le mettre au frigo. Il tourna la tête en l'ouvrant.

Merci pour les cupcakes ... Il pointa l'espace réfrigéré. Tu prends quoi ?

Arelan haussa à peine les épaules à la demande de Crystal. Peut-être se disait-elle qu'il ne devait avoir que des alcools comme boissons ? Il attrapa un verre qu'il remplit au robinet avant de se retourner. Crystal se tenait prêt du piano éteint, curieuse.

Tu joues ?
Si tu veux ... ? dit-il, incertain de la demande de la jeune fille.
Après tout, s'il avait un piano, cela signifiait qu'il en jouait, non ? Néanmoins, il resta planté à sa place, se servant lui aussi un verre d'eau.
Et toi ?
Il avait cru comprendre que son travail au Miroir d'Aphrodite n'était pas vraiment le numéro de charme. Et elle faisait peut-être plus que de pousser la chansonnette, après tout.

Juste quelques airs. Disons que je suis meilleure à la guitare !
Ah, dommage, ce n'était pas son truc. Et encore, il avait peu de mérite à jouer du piano, il suffisait d'avoir des moignons et le cerveau d'un enfant pour pouvoir jouer du piano, là où sortir un son clair d'une guitare relevait déjà d'un certain niveau.
Il but son verre sans plus trop y réfléchir, avec ce geste un peu stéréotypé : il but cul-sec. Élevé par des irlandais soiffards ou pas, on ne se refait pas. Elle but son verre avec un peu plus de délicatesse. Elle s'accouda ensuite, le regardant avec cette candeur qui la caractérisait.
J'adorerais t'entendre jouer !
Il eut un sourire en coin alors que son nez se plissait un peu.
Si tu insistes.
Le Phantom se dirigea vers l'instrument, vérifia les branchements, alluma débrancha le casque, baissa le son et s'assit enfin. Le chat s'était redressé, bien qu'encore assis sur son siège, visiblement intéressée. Il avait bien compris que l'humain allait jouer.

Arelan commença justement à jouer [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] qui lui revint. D'abord avec la lenteur qui y correspondait, puis avec de plus en plus d'assurance.

Crystal nettoya son verre et le mit à sécher avant de le rejoindre au piano, imitée par le chats qui bondit rapidement sur ses genoux où il s'assit, réclamant à petit coup de tête une caresse. L'ambiance, la promiscuité, le contact étaient ... surprenant pour Arelan. Et engiourdissant aussi, sans être désagréable. Il profita d'un instant pour se gratter un sourcil alors que le morceau se calmait, arrivant vers sa fin.

A partir de là, il aurait pu simplement arrêter de jouer.
Au lieu de ça, il partir sur un autre morceau, plus complexe, comme s'il voulait montrer de quoi il était capable. Mais aussi parce que ce morceau demandait pas mal de sa concentration. Avec un peu de chance, il arrêterait de penser : il en avait un peu marre parfois.

Et c'est ainsi qu'il frappa brusquement les premières notes du Sonate au Clair de Lune de Beethoven, le Troisième Mouvement, réussissant à faire presque sursauter le greffier.

Son plan avait réussit. Le Phantom était entré dans une sorte de "transe" de concentration, ne pensant plus qu'à la musique. Il plaqua les deux derniers accords et retourna doucement à son état normal, cependant calmé et détendu.

Tu es doué, vraiment.
Il tourna un peu la tête vers elle, clignant des yeux en guise de remerciement avant de remarquer le chat qui avait changé de genoux ... pour s'endormir à demi, visiblement habitué à présent aux humeurs parfois virulentes de l'homme. Il eut un demi-sourire, du côté où Crystal ne pouvait le voir et caressa la tête du félin du bout des doigts.

Tu as appris tout seul ?
Il fit mine de na pas comprendre la question et répondit à côté.
Ce morceau ? Oui, je l'ai entendu et j'ai tenté de le refaire à l'oreille. Il n'est pas si compliqué que ça. Faut juste le bosser un peu.
Il préférait ne pas répondre à la véritable question : Comment diantre savait-il jouer du piano ? Question à laquelle étaient pendues un bon nombre d'autres. Cela faisait longtemps qu'il avait enterré cette chaîne de questions, ne gardant que le maillon premier : cette photo.

Lorsque Crystal précisa qu'elle parlait du piano, Arelan se crispa un peu mais heureusement, elle changea de sujet, ce dont il l'aurait presque remerciée. Elle rit alors de leur sens du terme "compliqué". En effet, le Phantom n'avait pas du tout les mêmes définitions qu'elle sur un bon tas de termes. Si ce n'avait pas été dévoiler un peu sa psyché tordue, il aurait volontiers comparé.

Son esprit se mit alors à extrapoler, encore. Quel pouvait bien être sa définition de "douleur" ? "Famille" ? "Travail" ? "Domination" ? "Amour" ? "Loyauté" ?

Je peux...?
Il la regarda, le regard creux. Ses yeux se baissèrent sur les mains féminines, le doigt pointant le clavier.
Bien sûr ! fit-il en clignant des yeux, se levant pour lui laisser toute la place.
Lui se redirigea vers le bar où il se servit un autre verre d'eau, histoire de ne pas rester à jouer les pots de fleurs.

HRP:

Un peu mélomane sur les bords, l'irlandais se surprit à clore à demi les yeux pour mieux apprécier la musique. Tandis que l'attention de la jeune fille était ailleurs, il s'appuya sur le bar, laissant la mélodie et les émotions qu'elle charriait. Une profonde mélancolie. Les paroles ne lui parlaient pas tant, bien qu'il comprenait cette nostalgie. Il ouvrit un œil et observa la chanteuse, semblant la disséquer avec les deux poignard qui lui servaient d'yeux.

Comment expliquer qu'elle arrivait à m'être tant d'émotions dans son interprétation ? Comment l'expliquer autrement que parce qu'elle aussi connaissant ce sentiment lancinant ? Après tout, tout artiste, peintre, chanteur, comédien, devait apprendre à ressentir une émotion pour pouvoir bien la restituer. Ce qui expliquait les moments où, même s'il le cachait, il se sentait bancal. Mais assez d'introspection. Dès qu'il en aurait l'occasion, il irait re-feuilleter son dossier, avec quelques autres pour donner le change, histoire de se rafraîchir la mémoire. Il devait connaitre "ses" incarnations mieux que personne.

Lorsqu'il sortit enfin de sa réflexion, le chat avait grimpé sur le bar à côté de lui et la musique s'était arrêtée. Il eut un infime pincement, il aurait aimé en profiter plus. Crystal se tourna vers lui, les yeux luisants. Certes, elle était liée à l'eau mais bon sang ! ce qu'elle en dépensait, d'eau, à avoir la larme si facile !

J'ai pas l'habitude de la jouer au piano. D'ordinaire, j'fais ça à la guitare. J'espère que ça t'a plu quand même !
Il dut se forcer un peu (enfin, à peine), mais il lui sourit, voulant la rassurer.
C'était très bien. Vraiment. .... Comment as-tu appris ?

La question était sortie seule, avec une franchise presque enfantine qu'il regretta immédiatement : si jamais elle lui rendait la pareille à nouveau, l'obligeant à préciser son récit d'un peu plus tôt ?

HRP:

La jeune fille se releva et lissa sa robe avant de s'approcher de lui pour s'appuyer à son tour sur le bar. Par réflexe, Arelan se redressa et s'assit à demi sur le plan de travail, à l'opposé, confortablement installé pour l'écouter expliquer comment elle en était venue à jouer ainsi.

On manquait de personnel au Miroir d'Aphrodite, et d'instruments, par la même occasion. Comme ma guitare avait une corde de cassée, j'ai du faire avec ce que j'avais. Mais ça va, j'apprends vite. J'ai l'oreille musicale.
Il hocha la tête. En effet, pour une débutante, elle se défendait très bien. Au piano du moins. Il se demanda ce que valait la version à la guitarre puisque cela semblait être son instrument de prédilection.
Toi en revanche, t'as l'air de bien t'y connaître en piano ! T'as pris des cours ?
Il haussa les épaules, feignant une décontraction qu'il n'avait pas totalement.
Pas vraiment. J'apprend à l'oreille, depuis que je suis gosse. Le piano est l'instrument parfait pour ça : un môme peut bien taper sur les touches, il réussira à en sortir un son clair, contrairement à d'autres instruments ... comme la guitare, par exemple.

Il haussa les épaules de façon saccadée. On pouvait imaginer qu'il riait. Il était aussi plutôt fier d'aborder cette question sans effleurer de près ou de loin son passé qu'il préférait laisser à sa place.
Y a qu'à voir ces inepties d'animaus pseudo-musiciens sur Internet. D'ailleurs, je sais à peine déchiffrer une partition ! Il marqua une pause, ferma à demi les yeux, fit mine de chercher la dernière goutte au fond de son verre. Au piano en revanche... c'est instinctif. J'arrive à sentir qu'elle touche va produire quel son, comment le reste de la mélodie va évoluer, quel accord donnera quelle couleur...

Il rouvrit les yeux et regarda Crystal. Un sourire moqueur fendit un peu son visage.
And there I look like those idiots of "romantic" artists ! Even if they made a very good job, though.

S'il y avait bien une chose à laquelle il ne s'était pas attendu, c'était bien à l'image que les paroles de Crystal firent pernicieusement apparaître à son esprit. Image des plus improbables qui réussit, cette fois, à le dérider totalement. Son sourire, toujours un peu grimaçant, se fit large, son nez se plissa, la tête se baissa, à demi cachée par sa main alors que son diaphragme mouvait de manière chaotique.
Un rire étrange, bien trop jeune comparé à son aspect sortit malgré lui de sa gorge, dura quelques instants avant de s'étouffer pour de bon.